Rétro 2017 : dernières semaines pour “Paysages français”
« Paysages français », une aventure photographique à la BnF (1984-2017) jusqu’au 4 février.
A la BnF, une exposition magistrale nous dresse un portrait de la France, vue par une trentaine de photographes contemporains. Au rythme d’une ballade sur quatre décennies, ils nous révèlent avec acuité les transformations du paysage hexagonal, tant rural qu’urbain : nous est ainsi proposée une exploration physique, politique et socio-économique du territoire tout en révélant des partis pris artistiques.
A l’initiative de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR), en 1984, sous l’impulsion de Bernard Latarjet et de François Hers, une trentaine de photographes sont dépêchés aux quatre coins de la France afin de présenter leur vision du paysage français. Ce fut la première mission d’une longue série de projets photographiques soutenus par l’Etat (tels l’Observatoire photographique national du Paysage ou le Conservatoire du littoral…) ou par des collectifs de photographes (tels France 14, France(s) Territoire Liquide…). Loin d’un travail de recensement de lieux français, l’enjeu est de refléter leur propre représentation du territoire, tout en révélant les grandes métamorphoses qu’il a subies au fil du temps. Sélectionnés par les deux commissaires Raphaële Bertho et Héloïse Conesa, les quelque 1 000 tirages dévoilés dans cette exposition “Paysages français” témoignent ainsi doublement de l’évolution d’un genre photographique – la photographie de paysage – tout en rendant compte des mutations en cours depuis plus de 30 ans sur notre territoire.
Les années 80 qui amorcent l’expérience du paysage
Quand en 1984, la DATAR confie à 29 photographes, déjà célèbres ou encore inconnus pour certains, la mission de représenter le paysage français des années 80, elle ne leur commande pas un inventaire, mais recherche justement leur point de vue d’auteurs pour questionner l’époque. Jouissant d’une grande liberté de création, Robert Doisneau, Raymond Depardon, en passant par Lewis Baltz ou l’Italien Gabriele Basilico… posent ainsi un regard propre les paysages urbains et naturels, des côtes de la Normandie à Marseille, qu’ils soient en rupture ou en continuité avec leurs représentations habituelles du paysage : l’idée est de rendre compte d’une “expérience du paysage”.
Si Raymond Depardon offre une représentation critique de l’exploitation agricole de son enfance, Tom Drahos présente une banlieue parisienne méconnaissable. De la même façon, Robert Doisneau s’inspire de la banlieue de Paris en immortalisant des tours de béton. Suzanne Lafont, quant à elle cultive l’art du plan échelonné pour nous engouffrer dans sa composition verticale où la terre, la mer et le ciel s’agencent avec justesse.

Le temps du paysage qui exploite les transformations durant les années 90
Dans les années 90, le paysage constitue un élément central des politiques d’aménagement du territoire avec l’adoption de la loi « Paysage » en 1993. Considéré comme un héritage à protéger, le paysage français et ses permanentes évolutions sont saisies par la photographie. On perçoit alors deux dynamiques : la valorisation visuelle d’un patrimoine et une observation des changements, dans une optique plus documentaire.

C’est ainsi que Serge Sautereau et Martin Becka valorisent les chantiers d’envergure des années Mitterrand, ou que Sabine Delcour ou Jean-Christophe Ballot vont travailler une nouvelle narration photographique du paysage, entre des compositions épurées ou foisonnantes, dans l’esprit d’une rencontre avec des sites naturels remarquables. De nombreux artistes se sont intéressés aux sur les grands ensembles et à l’évolution de leur perception : après la Seconde Guerre mondiale, ils sont associés à la modernité et au confort, comme le reflètent les compositions archéologiques de Catherine Poncin, les cartes postales de Mathieu Pernot mais aussi les portraits romantiques de Laurent Kronental. Dès les années 1980, ils cristallisent à l’inverse les marqueurs d’une fracture sociale et urbaine.

Les années 2000, quand le paysage devient style
Dans les années 2000, le territoire donne lieu au développement d’une forme imaginaire topographique. A travers les photographies, le style aisément identifiable d’artistes reconnus, tels que Stéphane Couturier, Thibaut Cuisset ou Jürgen Nefzger, contribue à la valorisation des lieux. Les photographes investissent le territoire pour saisir les nouvelles facettes d’un paysage devenu humain, social ou économique.

Série “Melting Point”, Bastia n°1, 2007 © Stéphane Couturier-Courtesy La Galerie Particulière, Paris/Bruxelle Centre méditerrannéen de la photographie, Bastia

© Thibaut Cuisset / Observatoire photographique national du paysage
Galerie Les Filles du Calvaire, Paris
Si Bertrand Stofleth s’attarde à capter la présence de l’homme dans un territoire longeant le cours du Rhône, de la Suisse à la Méditerranée, Jacques Filiu, quant à lui, quadrille la ville de Marseille, quartier par quartier pour en montrer les différentes mutations. Pour certains, la volonté d’apporter une touche de style au territoire français passe par une ambition hexagonale. Bertrand Meunier, Xavier Zimmermann ou Gilles Leimdorfer montrent à travers leurs travaux qu’il n’y a pas une vision générale et édifiante du territoire. Chaque photographe va l’exploiter différemment. En parallèle, avec le projet Retour en Lorraine, Alex Jordan et André Lejarre parviennent à créer une carte du paysage qui se dessine dans l’espace comme dans le temps. Venus photographier la casse des usines du bassin de Longwy en 1979, les artistes y retournent 30 ans plus tard. Aujourd’hui comme hier, ils immortalisent le même point de vue d’un territoire qui a subi la désindustrialisation puis la mondialisation, histoire d’affirmer les nombreuses évolutions liées au temps.

L’être au paysage installe l’homme dans le cadre dès les années 2010
Pour clore ce voyage photographique, on aborde les années 2010 en insérant l’homme au cœur des travaux : un paysage est photographié tel un lieu à habiter. L’homme s’installe, s’immisce dans le cadre et constitue une part entière du paysage. A l’ère des flux, des réseaux de transport et voie fluviales, la capitale française devient lieu d’inspiration pour de nombreux photographes. Les projets d’Ambroise Tézéna montrent les illustres monuments parisiens, quand Frédéric Delangle propose de faire des lieux incontournables de Paris des zones phares combinées avec de la peinture indienne.

Emmanuelle Jung
“Paysages français. Une aventure photographique, 1984-2017”, jusqu’au 4 février 2018, BnF, Paris 13 e
A lire Paysages français, Une aventure photographique, 1984-2017, éd. BnF, 49, 90 euros